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Écrivain et universitaire, Régis Debray est l’auteur de plus de cinquante ouvrages. En 2013, il publie Le Stupéfiant image. De la grotte Chauvet au Centre Pompidou où il décrit la visite de la grotte Chauvet comme une expérience littéralement fondamentale.

« Le Pont d’Arc ou le sacré décrassé ! De toute l’adventice dont nous nettoient les gorges de l’Ardèche, après d’autres résurgences sur d’autres points du globe. Décrassé de ses oripeaux cultivés et confessionnels. J’allais dire : de notre bondieuserie. Le voilà qui resurgit tel quel, à l’état brut, à l’état sauvage, cueilli dans sa fleur, son premier printemps, dans son hymne tout charnel à la vie, sans chichis ni détours. Nous ne saurons jamais si ces ingénieurs de l’image, ces magiciens du réel, connaissaient déjà la notion de sacré, le mot le plus ancien et le plus universel des langues connues. S’ils n’avaient pas le mot, ils en avaient d’évidence le sentiment. C’est le réconfort que nous puisons au spectacle de tout ce qui regonfle, redresse et requinque les mortels plus ou moins conscients que nous sommes, qui cherchons à lutter contre la décrépitude avec les moyens du bord. L'antimort, ce que Malraux appelait l'anti-destin, a connu bien des traductions plastiques au cours des siècles, mais rarement comme ici peut-on sentir aussi ingénument tout ce qu’il entre d’haleine animale, de souffle de vie, de lutte désespérée contre la mort, dans ce qu’une habitude de dernière minute, deux mille ans et quelques, appelle d’un mot trop éthéré qui gomme son sens premier et pulmonaire de respiration, la spiritualité. »

Régis Debray, Le Stupéfiant image. De la grotte Chauvet au Centre Pompidou, Gallimard, 2013, p. 40